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Neuropathie évolutive

France

Neuropathie évolutive

Tout a commencé fin 2009 par une IRM mais je ne savais pas que c’était un début. Ensuite, il y a eu des picotements à la main et des pieds froids et engourdis. Mais qui s’inquiète pour ça ?
Mars 2013 un mail de mon frère. Il est atteint d’une maladie génétique rare : l’amylose. Il insiste sur l’importance du dépistage pour la traiter rapidement. Je fouille sur internet. Les symptômes que je ressens correspondent à ce qui est décrit. Mauvaise nouvelle : un seul traitement, basé sur la thérapie génique, encore expérimental, qui n’a qu’une action retardatrice mais ne répare pas les dégâts déjà causés ou bien la transplantation totale du foie chez des sujets jeunes, sinon décès dans les 10 à 15 ans. 5 à 6 ans de survie après l’apparition des symptômes en cas de complication cardiaque. On est encore jeune à 60 ans ? 6 ans après l’IRM ? Il me resterait….2 ans ?
Je trouve aussi l’adresse de la Professeur Planté, spécialiste de cette maladie au CHU Henri Mondor. Je lui envoie un mail dimanche 7 avril à 14 h. Réponse le soir même à 23 h ! Dois-je m’inquiéter de cette urgence ? Le lundi à 9 h, le service des consultations neurologiques me confirme le RDV pour le mercredi 10. Au bout d’1/4 d’h de consultation, le verdict tombe : je suis dedans ! Pour le confirmer, elle me fait un profil neurologique détaillé : tests du diapason, du chaud-froid, du pique-touche, qui seront faits par la suite à chaque visite pour mesurer l’évolution de la maladie. Elle m’explique les différentes options thérapeutiques et évoque un nouveau médicament en phase de tests cliniques pour lequel je me porte volontaire. Le printemps passe. Je préviens mon patron de mes hospitalisations. J’informe famille et amis. Il y a beaucoup d’empathie. Juste savoir qu’ils sont là est un soutien moral énorme. Mais pour certaines personnes, une maladie neuropathique, ça se passe dans la tête et j’ai droit à des arguments du style « Reprends-toi, ne te laisse pas aller, avant qu’on te dise que tu étais malade, tu n’avais pas de symptômes. » Ben si justement mais je ne les avais jamais reliés.
13 mai, 1er séjour en hospitalisation de semaine où sont concentrés analyses et consultations diverses. Le personnel est très humain, d’une grande gentillesse naturelle. Il en résulte que dans un futur proche, j’aurai droit à un pacemaker pour prévenir la mort subite par arythmie.
29 juin. Je vais à un colloque « Corps sexué et handicap ». Ça me rappelle de manière TRES insistante que ma zigounette en a pris aussi un sacré coup. Les douleurs neuropathiques s’intensifient. Les picotements dans les mains deviennent permanents, les pieds sont engourdis, froids et insensibles, les mouvements involontaires (myoclonies) sont de plus en plus fréquents.
Eté 2013. Je suis éligible pour le nouveau traitement. C’est parti pour une série d’injections (3 en 5 jours), Automne. Les visites au CHU pour les injections deviennent une routine. Je troque mes bottines contre des chaussures de marche qui me calent bien les pieds et limitent les chocs même si j’ai la sensation de les avoir pris dans un bloc de ciment. Le médecin me prescrit des séances de rééducation (balnéothérapie, kiné, ergothérapie) Pas drôles mais je crois que ça m’apporte quelque chose.
Printemps 2014. La maladie n’a pas progressé au niveau des membres inférieurs. La barrière des genoux n’est pas franchie, et seulement de 5 cm sur le bras droit. Conclusion du medecin « Vous ne devez pas être sous placebo. » et je pense «Le médicament est efficace. Pourvu que ça dure ». Opération du canal carpien. Je retrouve un peu d’aisance dans la main et les douleurs ont presque disparu. Dans une certaine mesure, ce printemps marque la fin d’un état intermédiaire. Je reprends petit à petit goût à TOUT.
A la fin de l’été, la stabilisation se confirme. Je passe dans la phase open du protocole : la même chose mais garanti sans placebo.
En 2015, le traitement est suspendu en France. Pendant les 3 ans qui vont suivre, malgré un traitement de substitution, mon état continue de se dégrader. La canne de marche devient ma compagne. Je transpire énormément. Mon système digestif de détraque, me mettant dans des situations critiques au point de devenir une gêne pour ma vie sociale.
Durant l’été 2017, je suis seul, pas en très bonne forme, avec un traitement moyennement efficace, je décide d’avancer d’un an mon départ à la retraite pour faire tout ce que j’ai envie pendant le temps qui me reste.
Juin 2018. Je peux bénéficier du traitement qui vient d’obtenir une autorisation temporaire d’utilisation. Le produit m’est administré en hôpital de jour tous les 21 jours.
A un moment, il est évident que si je veux garder un semblant d’autonomie il faut que je prenne certaines mesures. D’abord la canne puis quelques gadgets pour me faciliter la vie et je me débrouille jusqu’au moment où je ne pourrais plus. Mais pas question pour moi de devenir grabataire. En prévision, j’ai adhéré à l’ADMD (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité), rempli mes directives anticipées et pris contact avec l’association suisse Dignitas qui apporte une assistance au suicide, en attendant que la législation évolue en France. Mes enfants et mes amis sont au courant. Ils respecteront ma décision le moment venu.
Mars 2020. Confinement et mise en place des perfusions à domicile toutes les 3 semaines avec le traitement d’abord fourni par le CHU puis par ma pharmacie. Isolement physique mais pas social. Famille et amis sont là, en vidéo ou au téléphone. Et … je trouve une dame sur un site de rencontre. Je ne peux plus faire de photos sans soutien ni me déplacer si je ne suis pas véhiculé. Ça tombe bien : le jour du déconfinement, elle vient me chercher en voiture pour une balade photo. Et il y en aura d’autres ! Si au début elle me tient l’épaule pour que j’aie un repère d’équilibre, très vite elle me prend dans ses bras pour me servir de canne humaine.
C’est loin d’être désagréable. Je crois que j’ai encore de beaux moments à vivre.

Neuropathie évolutive – Bernard J. – France